La première voix qui atteignit ses oreilles fut celle d'une femme, apparemment le cerveau du crime. La voix était profonde et erraillée comme si elle avait subit une blessure au cou qui n'avait pas cicatrisé avec le temps. Elle n'élevait pas la voix, mais sa colère était évidente.
"Tu l'a laissé crier au secours, sale vermisseau ?" dit-elle. "Je t'ai dit d'agir tel un fantôme dans cette affaire ! Tu vas attirer les magistrats sur nos têtes !"
Maîtresse Morisue, cette vermine s'excuse de son erreur" lui retourna la voix nasillarde d'un homme. "Nous ne pouvions pas agir assez rapidement pour les faire taire tous deux en même temps ».
"Faites plus vite !" répliqua-t-elle. Le son sec du bois frappant la chair se fit entendre dans l'air. Le serviteur sanglota de douleur et gémit. La femme parla fort, ignorant les plaintes de son valet. "Vous êtes sûr que ce garçon sera le prochain Champion de Topaz ?"
Le serviteur continua de gémir et commença à réfléchir à une réplique. Elle le frappa de nouveau, lui arrachant un nouveau cri. "Oui, oui maîtresse" dit l'homme entre deux jappements "nous avons marché dans les rues de la ville. Personne ne prête attention à de simples paysans, ils disent que ce garçon, Hiruma Tensin sera le prochain Champion de Topaz. Un autre garçon, aurait un score approchant celui de Tensin, mais il est du clan de la Licorne. Tout le monde hait le Khan, Il ne gagnera donc jamais le titre.
Kenichi jeta un regard à Ichiro et hocha un sourcil. Ichiro secoua la tête et mis la main sur la poignée de son épée.
"Le Crabe est en guerre contre la Grue crétin !" dit Morisue. "Cependant, je suppose qu'il fera l'affaire. J'aurai ma revanche sur ce qu'ils m'ont fait il y a 5 ans."
"Que fait-on maintenant maîtresse ?" demanda une troisième voix.
"Maintenant," dit lentement Morisue, "nous devons aller dans les caves. Les magistrats seront bientôt là, vu que je ne peux même pas compter sur vous pour faire taire une paire de gamins. Assurez vous qu'il respire encore. Nous devons le garder en vie jusqu'au festival des Chrysanthèmes, notre maître n'acceptera pas un pauvre sacrifice.
"Oui maîtresse" dirent en choeur les serviteurs. La pièce fut plongée à nouveau dans le silence, excepté le son de sandales et de mouvements précautionneux. Ichiro désigna la pièce d'un geste et sortit sa lame, prenant soin de ne faire aucun bruit. Kenichi sorti son arme et mit le katana de Tensin à sa ceinture. Lentement et sans bruit, Ichiro longea le mur jusqu'à l'ouverture et entra.
Ichiro analysa rapidement la situation. Il y avait quatre paysans sales et ensanglantés autour de la forme inconsciente de Tensin. Aucun d'entre eux ne prêtait attention à la porte, ils représentaient malgré tout une menace. Tous portaient une arme à la ceinture, et l'un d'eux avait un wakisashi. La dernière silhouette n'était autre que Morisue. C'était une femme d'âge moyen à l'allure de statue. Ses vêtements étaient fait de la soie la plus exquise, et les mèches grises dans ses cheveux ne faisaient qu'ajouter à son charme. Pourtant c'était là sa seule beauté. Son visage qui devait jadis être parfait est aujourd'hui marqué par des années de haine et de corruption. Sa peau était marbrée de tâches grises et ses mains était décharnées et putréfiées. Elle regardait ses serviteurs manipuler Tensin avec dédain. Elle ne semblait pas porter d'arme, simplement un vieux crâne humain. Ichiro savait qu'il ne fallait pas se fier aux apparences.
Ichiro regarda Kenichi. Il leva cinq doigts et les pointa vers la pièce. L'attitude sur son visage semblait indiquer qu'il était prêt, non plutôt s'attendait, à mourir. Ichiro hésita un bref moment, mais Kenichi enfonça la porte d'un coup d'épaule. Il lança un cri de guerre et chargea sabre au clair. Bien que surpris, Ichiro suivit immédiatement son ami dans le combat.
Morisue et ses servants se retournèrent avec surprise. Alors que ses serviteurs restaient interdits, pris au dépourvu par cette intrusion soudaine, Morisue réagit immédiatement. "Encore une paire de gamins ? " dit-elle. Elle leva la main et pointa Kenichi du doigt.
Ichiro fouilla dans son obi et sortit son couteau de chasse. Sans s'arrêter il le lanca en direction de la sorcière en espérant qu'il brise sa concentration. La lame voleta dans les airs et perça la gorge de Morisue. Elle hoqueta et du sang commença à goutter autour du couteau. Sa main se porta à sa gorge dans une réaction instinctive. Ichiro approcha et la transperça avec son katana.. Les yeux de Morisue lui lancèrent un regard de pure haine. Il retira son épée, et elle s'effondra. Respirant bruyament, il se tourna pour juger de la situation.
Kenichi était acculé par les autres alors qu'ils tentaient de l'éloigner de Tensin avec leurs armes. Le bushi du clan du Singe avait abattu un de ses assaillants et avait subit de nombreuses entailles sur son avant bras. Il feinta, mais fut obligé de se replier, une fois encore.
Ichiro chargea, en levant haut son sabre. Le paysan le plus proche, se retourna pour lui faire face et leva un wakisashi pour se défendre. L'ennemi frappa de sa lame volée. Ichiro para de son katana et rabattit la lame sur le côté. D'un geste rapide, il lui porta un coup de paume dans le thorax. Kenichi prit avantage de la diversion et contre-attaqua.
La pointe de son arme transperça le flan de son adversaire. Le kama glissa de ses mains. Le paysan cria de douleur et mit instincitvement ses mains en défense de son ventre. Kenichi frappa à nouveau et le cadavre tomba au sol.
Le dernier serviteurs de Morisue, couru vers Tensin. Il leva son kama haut et frappa sa cible sans défense. Avant que son coup ne porte , il convulsa violemment et lâcha son arme. Le Kama chuta au sol juste devant Tensin. Il cracha du sang et c'est les yeux dans le vide qu'il commença lentement à s'affaisser. Ichiro retint son épée. Le corps glissa le long de la lame et tomba au sol.
Ichiro respirait bruyamment alors que l'adrénaline le quittait. Il essuya le sang de sa lame par réflexe et observa la pièce. Il n'avait jamais tué qui que ce soit avant. Il baissa les yeux vers son kimono et fixa le sang qui l'avait éclaboussé durant la bataille. Il resta un moment sans réaction. Une partie de ce sang venait de celle qui était sans doute une maho tsukai. Avec une certaine appréhension à l'idée d'avoir été souillé, il enleva le kimono et le roula en boule. Kenichi s'en sortait mieux. Il marcha et s'agenouilla près de Tensin.
Soudain, une lumière brillante descendit du toit. Elle irradia de plus en plus fort jusqu'à ce qu'elle gagne toute la pièce, bannissant les ténèbres du temple. Ichiro essaya de fixer la lumière, mais elle était trop forte. Il ne parvenait pas à identifier clairement l'origine de cette lueur. Ca avait la forme d'un homme, bien que cela soit trop large et trop pur pour être humain. La forme leva les mains. Ichiro se sentit soudain baigné d'une sensation de paix proche de la perfection.
Après quelques instant, la lumière s'estompa et lentement le monde retourna à la normal. Pendant un long moment Ichiro et Kenichi restèrent silencieux, ragaillardis par l'aura de majesté qui imprégnait la pièce.
« J'ai déjà ressenti cela avant » dit Kenichi.
Ichiro se tourna pour lui faire face. « Que veux tu dire ? »
« Notre clan célébrait le festival de fin d'année dans le mois du tigre. Nous nous rassemblions autour de la tombe du fondateur de notre clan, Toku, et priions les Fortunes pour leur demander de nous guider durant l'année à venir. Une étrange lueur apparut dans l'air devant nous et je me suis senti serein et calme pour la première fois de ma vie. Notre Shugenja disait que c'était les fortunes qui répondaient à nos prières.
« Les Fortunes, » répéta Ichiro. Il n'avait jamais été très religieux, mais que pouvait-il trouver à répondre devant tant de magnificience. « pourquoi les Fortunes s'intérresseraient à nous ? »
Kenichi fronça les sourcils. « Je ne saurais le dire, » répondit-il. « Il n'y a pas vraiment de raison à cela... » sa voix défaillit et il eut soudain une révélation. « le festival des Chrysanthèmes !»
Ichiro cligna de confusion. « Mais ce n'est pas avant l'été, » remarqua-t-il. « En quoi cela a-t-il un rapport ?
« Morisue a dit qu'ils voulaient sacrifier Tensin » dit Kenichi. « Les serviteurs de Fu Leng tentent de sacrifier quelqu'un à leur dieu à la fin du festival ! Et dans le même temps, les fortunes choisissent qui va recevoir leur bénédiction ! »
« le festival n'est pas avant cet été » répéta Ichiro.
« Bien, en ce cas, « dit Kenichi. « Je suppose que si tu trouves un arbre assez grand tu pourras dire aux dieux qu'ils peuvent reprendre leur bénédiction. Je suis sûr qu'ils apprécieront »
Tensin grogna et ouvrit les yeux. « Shinjo Ichiro, Toku Kenichi » dit il d'une voix pâteuse. « Vous avez entendu mon appel. »
Kenichi sortit son couteau et trancha les liens du crabe. Ichiro lui fit un signe de tête. « Es tu blessé ? Peux tu marcher ? »
« Ca va aller », dit-il, il toussa. « je vous dois la vie. »
« Tu aurais fais la même chose pour nous », dit Ichiro sincèrement. « les liens entre le Crabe et la Licorne sont forts, cela ne s'oublie pas facilement mon ami. »
« J'irais voir les juges et leur dire que je me retire du tournoi » dit Tensin résolument. « tes actes doivent être récompensés. »
Kenichi regarda Ichiro et sourit. Ichiro le fit taire d'un regard. « Non. »
« je ne te concède pas la victoire par pitié, Ichiro » protesta Tenshin. »Tu t'es montré, par tes actions, plus digne que moi. Les juges doivent le savoir. »
« Si ce que tu dis est vrai, alors les juges s'en rendront compte d'eux même. Ne me fait pas injure Tensin »
Tensin et Ichiro se fixèrent intensément du regard. Tensin hocha la tête. « Je suis désolé, Ichiro. Je ne voulais pas t'offenser. Je t'assure cependant que tout le monde saura ce que tu as accompli aujourd'hui. »
Ichiro et Kenichi avancèrent et aidèrent le crabe à se remettre sur ses pieds. Ensembles, ils entamèrent le long chemin du retour vers la civilisation.
* * *
“Félicitations, Ichiro.”
Il se retourna pour voir le sourire de Toku Kenichi en face de lui. Il replaca l'armure du Champion de Topaz sur son présentoir et rit. « Merci à toi Kenichi, mais maintenant ce sera Shinjo T'sao »
« Quel nom affreux !» dit Kenichi, adoucissant sa remarque par un petit ricanement. « Il convient bien à la tête que tu fais. »
T'sao secoua la tête et lui tendit la main. « Puisses les Fortunes être avec toi mon ami »
Kenichi fixa la main puis s'inclina. « T'sao. Avec tout ce qui se passe sur les terres de l'empire, j'espère qu'elles resteront plutôt avec toi. »